Mon message du samedi soir (237)
Le pont
Il y avait du monde au péage pour traverser le fleuve. Le pont de Normandie s'élevait, gigantesque oeuvre d'art haubanée, suspendue vers le ciel, jouant avec le vent. Il nous fallait aller du Havre vers Honfleur, enjamber l'estuaire balayé par la brise. Nous avons franchi la Seine. Le pont scellait comme un pacte d'alliance, rythmant l'accord entre deux rives, entre deux pays. Un pont crée toujours du lien entre les humains.
Pour bâtir un tel ouvrage, il faut du temps, apprivoiser tout un éco-système, analyser la nature des sols, tenir compte de l'environnement, des aléas possibles, poser des fondations solides, bien ancrées dans la terre. Un pont est une oeuvre commune. Pour le concevoir, l'assembler, il faut toute une équipe, une volonté d'avancer ensemble, une harmonie de compétences. Un pont, cela s'entretient. Une fois qu'on l'a construit, il faut prendre soin de lui. Il faut qu'il tienne au rythme des marées, au rythme des années. Bâtir un pont est toujours une aventure humaine, une histoire qui s'inscrit dans l'espace et le temps. Il suffit d'écouter, au détour d'un chemin, le murmure des arcs de pierre, le cantique ancien des viaducs romains...
Aujourd'hui, certains souhaitent couper les ponts, déchirer les haubans, élever des murs cimentés par l'indifférence, le repli, le mépris. Mieux vaut bâtir des ponts. Ils relient les humains. Ils dessinent un art de vivre. Ils promettent la rencontre. Ils invitent à la paix... Et me revient à la mémoire ce poème de Victor Hugo dans Les Contemplations. Le poète voulait bâtir un pont reliant le ciel et la terre, "un pont géant sur des millions d'arches". Alors, il vit surgir un fantôme en forme de larme, prêt à le bâtir pour lui : "Ses mains en se joignant faisaient de la lumière." Le poète murmura : - "Quel est ton nom ?" Il répondit : - "La prière."
Billet d'Anne-Marie Gérard
paru la semaine dernière dans le Journal "La Croix"
(Pont au Vietnam)
Merci beaucoup pour votre fidélité
et vos commentaires très enrichissants