Mon message du samedi soir (21)
LE MIROIR MAGIQUE
Un jour, dans un pays lointain et en des temps reculés, un jeune homme qui se promenait dans les allées d'un marché remarqua une étrange échoppe aux objets extraordinaires. L'étal était rempli d'un bric-à-brac de curiosités des plus insolites. Le jeune homme fut fasciné. A l'écart, il remarqua une pièce de velours riche qui recouvrait un objet plat et rond.
- Qu'y a-t-il sous ce tissu entourant cette drôle de forme ? demanda-t-il au marchand.
- Cela tient de la magie, répondit celui-ci. Approche, je vais te montrer.
Avec infiniment de précaution, il souleva l'étole. Le jeune homme découvrit alors une sorte de plateau dont la surface était polie et brillante, d'une matière qu'il n'avait jamais vue jusque-là et qui lançait de curieux reflets.
Intrigué, il se pencha. A sa grande surprise, il reconnut à l'intérieur l'image de son père, mort depuis des années, tel qu'il était dans sa jeunesse.
Il se redressa brusquement, très ému, pensant qu'il avait une hallucination. Puis il regarda encore l'objet, et vit de nouveau son père, qui le dévisageait à son tour. Bouleversé de revoir celui qu'il avait tant aimé, le jeune homme lui sourit. Et son père lui sourit aussi.
- Tu as raison, marchand. Cet objet est magique ! s'exclama-t-il. Je te l'achète !
- Cela s'appelle un miroir, répondit l'autre. C'est un ustensile rare et précieux. Sa valeur est immense.
- Qu'importe, répondit l'acheteur excité. Je te donne tout ce que je possède pour l'emporter. Grâce à lui, je pourrai revoir, autant de fois que je le souhaite, mon père bien-aimé.
L'affaire fut conclue. Une fois rentré chez lui, le jeune homme dissimula le miroir dans son grenier. De temps à autre, il allait voir l'image de son père, et restait de longues heures à la contempler.
Intriguée de ces moments d'isolement prolongés et répétés, sa femme profita un jour de son absence pour tenter de percer le secret de son étrange attitude. Et dans le grenier, soulevant la pièce de velours, elle découvrit le miroir et vit ... une femme.
Son mari en aimait une autre ! A son retour, elle lui fit une scène terrible. Elle hurlait mille reproches. Elle avait percé son secret, lui qu'elle aimait se rendait coupable de la plus infâme des trahisons !
- Pas du tout, se défendit-il, c'est l'image de mon père que je vais contempler tous les jours. Cela me remplit de bonheur !
- Menteur. C'est une femme que tu vas voir ...
La dispute prenait de l'ampleur. Le mari proposa alors à son épouse de demander un avis extérieur pour les départager.
Il s'en fut au couvent voisin quérir une nonne afin de réclamer son arbitrage. La sainte femme ne pouvait que dire la vérité.
Celle-ci vint et à son tour se pencha sur le miroir. Elle releva la tête et conclut doctement :
- C'est une nonne !
Ainsi tout le malheur des hommes vient de ce qu'ils ne regardent pas le monde tel qu'il est, mais tel qu'ils le voient.
Catherine Rambert
(photos du net)